« Donner des ordres en français »
03/04/2014 Bonjour à toutes et à tous,
En pleine commémoration de la guerre de 1914-18, c’est étrange d’apprendre comment l’horreur de la guerre a contribué à la normalisation de la langue française parmi la population des armées…
En effet, sur les champs de bataille, les paysans issus de toutes les régions de France ont tôt fait de comprendre les ordres qu’on leur donnait en français, pour la simple raison que c’était une question de vie ou de mort.
Linguiste et lexicographe, rédacteur en chef des publications des éditions le Robert et membre de la Commission générale de terminologie et de néologie, Alain Rey, ancien chroniqueur est également bien connu des auditeurs de France Inter.
A l’Aqueduc de Dardilly (69), sa conférence nous entraîne à travers une histoire des mots qui commence par une démonstration : les manipulations de la langue par les pouvoirs totalitaires permettent d’imposer un seul mode de pensée.
Le régime nazi, autre exemple, avait ainsi rendu impossible toute forme de contradiction, expression de la démocratie, par une défiguration de la langue.
Pour en revenir aux dialectes et aux patois, si autrefois la France en était riche, aujourd’hui encore, dans un même pays, il est très dur de survivre avec une langue minoritaire.
La normalisation de la langue a causé la disparition de tout ce qui n’était pas langage normalisé et c’est oublier toute la dimension affective d’une langue.
Ainsi auprès des populations de tradition orale, lorsqu’on installe des programmes d’alphabétisation, il a été constaté que la mémoire ne s’exerçait plus et que toutes les traditions en pâtissaient.
Est-ce que faire autre chose que la norme est une faute, question beaucoup plus fondamentale ?
Maintenant l’enseignement bilingue en Bretagne, Catalogne, Pays Basque, par exemple, est toléré, car on s’est rendu compte que plus un pays maîtrise plusieurs langues à la fois, plus il est armé.
Autour de nous, des pays ont gardé l’usage de plusieurs langues à l’intérieur de leurs frontières, c’est le cas de la Belgique, de la Suisse, mais aussi plus loin, avec la Chine où se parlent pas moins de 7 langues, le Japon.
Il est aussi important de considérer le fait que le français n’est pas parlé seulement en France, car tous les continents parlent le français, de la Nouvelle-Calédonie à la Polynésie, du Vietnam au Maghreb, de l’Amérique du Nord aux Caraïbes…
Il en est de même pour l’allemand, l’italien, l’arabe…
De même qu’une langue est enrichie par toutes ses implantations géographiques, c’est aussi grâce à l’immigration contemporaine qu’elle se construit, car la langue est le reflet de la société qui la parle.
En France, l’arrivée des immigrés polonais, italiens, arabes, berbères, arméniens a créé un plurilinguisme qui est autant de richesse.
Alain Rey reconnaît que nous avons quand même hérité d’une langue tordue, confirmé par le simple exemple du mot oiseau : chacune des lettres a un son qui n’est pas prononcé…
Et notre écriture qui n’a pas de sens, mais que des sonorités, pourrait, à l’instar des idéogrammes, nous permettre comme aux chinois, par exemple, de comprendre les journaux japonais !
Notre langue aurait aussi gagné en musicalité si elle avait l’emploi de l’accent tonique, comme en espagnol, italien, portugais, allemand ou anglais…
Mais elle a gardé de l’influence germanique presque dans tous les noms de couleur !
Quant à la réforme de la langue qui revient une fois de plus dans les questions à la fin de la conférence, même si elle est nécessaire linguistiquement, elle est impossible sociologiquement.
Et l’on continuera d’écrire événement et de prononcer évènement, car une langue est capable de tout !
Bien à vous,
Isabelle